MONOGRAPHIE
CET OBSCUR OBJET DU DÉSIR
THOMAS DEVAUX
PAR CAMILLE BARDIN
LE CHANT DES SIRÈNES
Le leurre est un procédé commun à toutes les œuvres de Thomas Devaux. Ses photographies courtisent l’œil des regardeur.ses et cachent leur véritable nature. Les séduisantes couleurs de sa série Rayons sont notamment obtenues en photographiant des produits présents sur les étals de nos hypermarchés. En usant d’un puissant flou, l’artiste saisit la synthèse des gammes chromatiques minutieusement choisies par des expert.es en neuromarketing. Ces œuvres proches de l’expressionnisme abstrait revêtent une douceur qui contraste ostensiblement avec la férocité du Capitalisme. Cerclées d’or telles des fétiches, ces photographies réunissent à la fois l’iconographie religieuse, les théories modernistes de Kandinsky ou de Rothko et la trivialité consumériste de notre époque. Elles proposent ainsi une réflexion plus large sur les relations et les points de tension entre le profane et le sacré.
Ces Rayons étaient un murmure, l’augure du chant des sirènes. Avec sa série Totem, Thomas Devaux n’évoque pas l’adoration, il la provoque. Conçues avec des verres dichroïques, ces œuvres percutent les rétines et contraignent les pas des regardeur.ses à se rapprocher toujours plus près d’elles. Ça brille, ça bouge, ça réfléchit : tout est là pour séduire un public parfois inappliqué, dont l’œil a déjà tout vu ou trop vu, assommé par le gigantisme des foires d’art contemporain et distrait par les conversations de vernissages. Thomas Devaux réunit en fait tous les stimulus directs prêts à doper notre cerveau primitif. Il use de la lumière, pour mieux impacter nos neurotransmetteurs et favoriser la production de sérotonine. Il convoque nos capacités de mémorisation, nos émotions et notre attention et rejoue ainsi toutes les stratégies marketing que l’on applique aux produits de consommation. Plus radicales, ces œuvres engagent directement les spectateurs et spectatrices qui n’observent plus simplement le rapport entre l’article et le consommateur ; mais y sont désormais pleinement soumis.
Thomas Devaux est de ces artistes dont le travail n’a pas nécessairement de fin militante, mais dont la pratique agit comme un révélateur. Il a choisi la posture de celui dont les œuvres présentent une froide synthèse de notre monde sans pousser les spectateurs et spectatrices à penser une chose plutôt qu’une autre. Il n'est ni un militant anticapitaliste, ni un défenseur du marketing. Ici, il est donc surtout question de libre arbitre : sommes-nous en pleine possession de nos moyens quand nous nous dirigeons d’un pas décidé vers une œuvre de Thomas Devaux, ou que nous choisissons ce produit plutôt qu’un autre ? L’humain se fantasme comme un animal rationnel alors même que la plupart des décisions qu’il prend, sont influencées, bridées par un cerveau capricieux qui préfère se laisser séduire par un instinct convaincant.
Camille Bardin, critique d'art et commissaire d'exposition indépendante